VEF Blog

Titre du blog : Les lectures de Mina Strogoff
Auteur : mina-strogoff
Date de création : 05-06-2020
 
posté le 22-01-2021 à 12:32:20

10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange - Elif Shafak

"Mais la mémoire humaine ressemble à la nuit d'un fêtard qui a bu quelques coups de trop : elle a beau s'appliquer, elle ne parvient pas à marcher droit."

 

 

 

Editions Flammarion. 400 pages.

1ère parution : 2019

 

Tequila Leila, une prostituée turque, vient d'être brutalement assassinée dans une rue d'Istanbul et jetée dans une benne à ordures. Dix minutes et trente-huit secondes, c'est le temps durant lequel son cerveau reste actif après l'arrêt du coeur. Nombre de souvenirs remontent à la surface durant ce laps de temps et, petit à petit, l'histoire de sa vie se redessine. Sa famille et ses mensonges, son père devenu fanatique, son oncle incestueux, sa fugue pour échapper à un mariage forcé, son entrée dans les bordels d'Istanbul, mais aussi les amis qu'elle va s'y faire. Dans la deuxième partie du roman, nous suivons les cinq amis proches de Leila, leur réaction à sa mort et leur décision de lui donner des funérailles dignes.

 

J'ai poursuivi ma découverte de l'auteure Elif Shafak avec ce roman que j'ai également beaucoup aimé. L'histoire de Leila est très poignante, révoltante même; ainsi que les parcours de ses amis. J'ai particulièrement aimé le personnage de Nalan, une prostituée transgenre au parcours de vie chaotique mais d'une volonté de fer et d'une loyauté sans faille. Les 5 amis ont tous des histoires et des tempéraments différents; mais ils ont en commun d'être considérés comme des indésirables, des marginaux, des "rebuts" de la société. J'ai profondément aimé cette histoire d'amitié. Comme dit dans le roman, les personnages sont liés par la loyauté de ceux qui n'ont personne d'autre sur qui compter.

 

Comme dans L'Architecte du Sultan, la ville d'Istanbul tient une place primordiale dans ce roman, mais l'auteur montre cette fois un aspect bien différent. Dans le premier, la ville était décrite du temps de l'Empire Ottoman au XVIè siècle; j'avais été totalement séduite par les descriptions qui m'ont paru très oniriques et presque magiques. Ici, l'histoire se passe essentiellement dans les quartiers mal famés des années 1960-70. Plusieurs évènements historiques et lieux réels y sont décrits; comme le massacre de la place Taksim en 1977, ou encore le cimetière des Abandonnés, là où vont les corps qu'aucune famille ne réclame (migrants, prostituées, marginaux etc). Ce roman met en lumière les recoins d'Istanbul qu'on ne montre pas aux touristes; le caractère multiples et les aspects moins reluisants de cette ville qui peut faire rêver autant qu'elle peut broyer irrémédiablement.

 

Une excellente lecture selon moi. Je pense que je me souviendrai longtemps du personnage de Nalan, qui m'a énormément touchée et a fait évoluer mon regard sur les personnes transgenres. Les luttes sociales y tiennent une place importante. Plusieurs questions sont abordées comme le quotidien des prostituées locales ou étrangères, les rivalités entre elles, les difficultés des transgenres à subsister sans passer par la prostitution, la pression exercée par la famille, le poids des traditions, l'oppression capitaliste ... L'histoire est assez dure et comporte des scènes de violence même si elles ne sont pas très détaillées. Ce n'est définitivement pas un feel-good; mais cela reste un récit très riche, qui soulève beaucoup de questions. L'engagement de l'auteure pour les marginaux et les laissés pour compte se ressent tout au long du récit.