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Titre du blog : Les lectures de Mina Strogoff
Auteur : mina-strogoff
Date de création : 05-06-2020
 
posté le 19-08-2020 à 00:03:02

La Nuit des calligraphes - Yasmine Ghata

"Dieu ne s'intéresse pas à l'alphabet latin. Son souffle dense n'arrive pas à glisser sur ces lettres séparées et longues. <<Atatürk a chassé Dieu du pays>>, répètent les calligraphes."

 

 

 

Editions Fayard. 154 pages. 

 

Rikkat, une calligraphe ottomane entreprend le récit de sa vie, et raconte notamment son amour pour la calligraphie, qui se pratique en langue arabe et qui est intrinsèquement liée à la religion. En 1923, Atatürk, grand admirateur de la civilisation occidentale, abolit l'alphabet arabe en Turquie pour le remplacer par l'alphabet latin. La langue arabe est bannie de tout usage public et les calligraphes se retrouvent mis au rebut du jour au lendemain; il est interdit à la nouvelle génération d'ouvriers de l'écriture d'écrire en arabe.

Après les mesures prises par Atatürk, Selim, un vieux calligraphe particulièrement talentueux, transmet à Rikkat son écritoire et donc la charge de perpétuer cet art. Prisonnière d'un mariage malheureux et toujours suivie de près par le fantôme de son maître, Rikkat devient enseignante et se réfugie dans la pratique de la calligraphie en s'efforçant de respecter ce pacte.

 

 

Je pense me renseigner un peu plus sur la prise de pouvoir d'Atatürk et les conditions dans lequelles il a imposé l'alphabet latin au détriment de l'arabe. Je ne doute pas de la bonne volonté de l'auteur sur la retranscription du contexte; mais je prends toujours les oeuvres de fiction avec une certaine prudence.

 

Toute l'oeuvre est traversée par une opposition entre le passé et le présent; entre l'attachement aux traditions et l'évolution imposé au pays; entre le monde l'étrange et du mysticisme et la modernité. A mon sens, ce livre illustre plutôt bien les résistances que l'on rencontre en cherchant à faire évoluer des pratiques ou des mentalités. Même lorsqu'on est persuadé de le faire pour une cause juste, la population encore attachée à ses traditions et à sa religion le vit comme une forme de violence et a le sentiment de perdre une partie de son identité.

 

J'ai également apprécié ce texte pour son côté étrange. Les instruments de calligraphie sont vus par l'héroïne comme littéralement vivants, ou du moins habités par leur ancien propriétaire qui les lui a légués en mourant. Le lecteur croise plusieurs fantômes au fil du récit, en particulier celui de Selim justement qui semble décidé à tenir compagnie à Rikkat; ce qui donne au récit une dimension fantastique. Bien que je ne l'aie pas trouvé inoubliable, l'aspect mystique et poétique de cette histoire ajouté à mon amour pour la Turquie font que j'ai apprécié cette lecture.