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Titre du blog : Les lectures de Mina Strogoff
Auteur : mina-strogoff
Date de création : 05-06-2020
 
posté le 21-07-2020 à 23:27:01

Le monstre de la mémoire - Yishaï Sarid

"Au cours d'une visite à Birkenau, un élève, un petit gros au regard mauvais et aux joues violacées par le froid a commencé à graver : <<Mort aux gauchistes>> sur une palissade du camp des femmes. Il a été surpris par un prof plus éveillé que les autres, et a été obligé de s'arrêter. Pour le consoler, ses copains lui ont promis qu'en Israël, ils termineraient le boulot ensemble. Enveloppés du drapeau national, des kippas sur la tête, nos jeunes déambulaient entre les baraquements et s'emplissaient de haine, non pas envers les bourreaux, mais envers les victimes."

 

 

 

Editions Actes Sud. 158 pages.

 

 

Un historien israélien, spécialiste de la Shoah et guide dans les camps de la mort, est chargé d'accompagner des lycéens dans leurs visites au cours de "voyages de la mémoire" imposés par l'Etat. Face à la mise en scène de cette mémoire, l'impossibilité de la transmettre et la banalisaiton du tourisme de l'horreur; la colère et la solitude du personnage deviennent de plus en plus palpables au fil des pages.

 

Ce qui m'a attirée en tout premier lieu avec ce livre, c'est sa couverture (sublime). J'ai été intriguée par cet énorme corbeau en plein milieu, puis par ce titre étrange. La quatrième de couverture laissant transparaître le questionnement sur l'entretien de la mémoire a achevé de me convaincre.

 

Un aspect m'a particulièrement frappée : le manque d'empathie des lycéens venus d'Israël pour visiter les camps de la mort; certains allant jusqu'à dire qu'il faudrait "faire la même chose aux Arabes". Pour la lectrice non-avertie que j'étais, cela paraissait totalement irréel. Cela me dépassait que l'on puisse dire des horreurs pareilles; à plus forte raison lorsqu'on faisait partie d'un peuple ayant lui-même subit des massacres. Le mépris de certains élèves pour les victimes, leur haine envers les polonais plutôt qu'envers les nazis m'a laissée pantoise.

 

C'est en lisant une interview de Yishaï Sarid et en me renseignant davantage sur le peuple juif que j'ai commencé à comprendre. Il faut prendre en compte le fait que la Shoah a touché les Ashkénazes, donc les juifs vivant en Europe centrale et Europe de l'Est. Les Séfarades, eux, sont plutôt implantés dans la péninsule ibérique et le bassin méditerranéen. Les lycéens présents dans le roman, qui montrent si peu d'empathie envers les victimes des camps, sont principalement des Séfarades; qui n'ont pas la même histoire que les juifs d'Europe et sont plutôt en contact avec le monde arabe. Dans cette interview dont je mettrai le lien plus bas, Yishaï Sarid parle d'un différend entre les Ashkénazes, réputés plus à gauche, et les Séfarades. Cette explication apporte un éclairage à mon sens indispensable, et évite des erreurs d'interprétations ou une lecture trop superficielle.

 

Implacable, ce roman interroge sans détour le rapport entre les communautés juives et la mémoire de la Shoah, ainsi que la mise en scène permanente qui en est faite. Le devoir de mémoire est présenté comme un monstre auquel il faut payer un tribut. Si ce n'est pas un coup de coeur pour ma part, il reste cependant une très bonne lecture qui m'a poussée à approfondir un sujet que je connaissais assez mal; à savoir les différences entre Séfarades et Ashkénazes. Il pousse aussi à s'interroger sur l'histoire du peuple juif au-delà de l'Holocauste, auquel on a trop tendance à le résumer.

 

 

Voici les liens vers des interviews de Yishaï Sarid à propos de ce texte.

 

 https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/04/25/monstre-memoire-entretien-sarid/

 

 

 https://www.facebook.com/151446978204/videos/197724074850929/?v=197724074850929