Les lectures de Mina Strogoff

"Lorsque, à force de tentatives, tu es sur le point d'atteindre le sommet d'une pyramide, tout se renverse, le sommet t'échappe, et tu te retrouves au fond du gouffre effroyable et sans fond. Y a-t-il un homme plus éprouvé par l'échec entêté qui t'accable?"

Editions Actes Sud. 358 pages.

1ère parution : 1999.

Le Caire, 1941. Une famille de la petite bourgeoisie égyptienne fuit les bombardements des Allemands et s'installe dans le vieux quartier de Khan-al-Khalili, réputé plus sûr. Une fois sur place, Ahmad, le fils aîné d'une quarantaine d'années, tombe amoureux de Nawal, une jeune fille de seize ans, mais n'ose pas l'approcher. Rouchdi, son frère cadet, tombe également sous le charme de Nawal mais se montre plus entreprenant et gagne son affection. Le quotidien de la famille est bouleversé lorsque Rouchdi contracte la tuberculose.

Ce roman réaliste dessine le quotidien d'une famille mais aussi d'un quartier populaire pendant la seconde guerre. Les habitants parlent des puissances en conflit mais, malgré la crainte des bombardements, ne semblent pas se sentir tellement concernés. Les enjeux du conflit semblent assez lointains, même si les évènements se précipitent par la suite notamment avec l'épisode d'El Alamein.

Sur cette toile de fond, nous suivons Ahmad, le fils aîné, qui a pris sa famille à sa charge après que son père ait perdu son emploi. Persuadé d'être un génie, il se présente au début comme un personnage profondément aigri, imbu de sa personne ; persuadé que ses échecs sont dûs à l'incapacité du monde à reconnaître son talent. Il ne râte pas une occasion de montrer ce qu'il croit être sa supériorité intellectuelle ni d'étaler ses connaissances acquises en dévorant des tonnes de livres. Pourtant, l'homme de quarante ans perd totalement ses moyens devant Nawal, seize ans ; qu'il se contente d'observer de loin sans savoir comment l'approcher. Rongé par la jalousie lorsque son frère plus jeune le devance et entame une idylle avec Nawal; Ahmad aime cependant trop son cadet pour lui en vouloir longtemps et laisser une femme les séparer.

Naguib Mahfouz a réussi à me faire apprécier le personnage de Ahmad, qui paraît assez insupportable au début du roman avec sa suffisance et sa misogynie affichée. A mesure que l'histoire avance, le caractère du personnage se précise et ses aspects positifs ressortent davantage; notamment son affection pour son frère et son dévouement sans faille à sa famille. Les deux frères sont diamétralement opposés. Ahmad est plutôt taciturne, solitaire avec un sens aigu des responsabilités. Rouchdi, au contraire est bon vivant, solaire, insouciant. Pourtant, je me suis un peu moins attachée à lui, lui préférant son frère aîné que j'ai trouvé plus touchant. Cependant, je suis probablement biaisée par le fait que Ahmad est le personnage central, il est donc nécessairement plus développé que Rouchdi, qui est un peu plus au second plan.

L'écriture fluide de Naguib Mahfouz rend la lecture accessible et agréable. L'ambiance populaire est magnifiquement rendu ainsi que le quotidien de la famille et l'omniprésence de la religion. J'ai eu du mal à sortir de ce livre et à quitter le personnage de Ahmad. Même si ce n'est pas un énorme coup de coeur, cela reste une très bonne lecture et je lirai d'autres ouvrages de Mahfouz avec plaisir.